Notre électricité est chère… Mais pourquoi ? (3)

C’est certes un peu ardu à lire… mais il est tellement essentiel de comprendre pourquoi il y a aujourd’hui une crise de l’énergie qui plonge de nombreux ménages dans des difficultés importantes et qui met les collectivités au bord du gouffre…. Cela vaut le coup de prendre cinq minutes pour découvrir cet article d’Alain Tournebise, paru dans le numéro de septembre/octobre 2022 de la revue économique du PCF, « Économie et Politique ».

La suite…

Qu’est-ce que ce marché de gros de l’électricité ?

En fait, de même qu’il existe plusieurs places de marché pour les actions, il existe plusieurs marchés de gros de l’électricité. On devrait donc parler non pas « du » mais « d’un » marché de gros de l’électricité. La plus grande plateforme de marché en Europe est EPEX Spot, de droit allemand, à laquelle ont accès les acteurs de 12 pays différents dont la France. Mais d’autres Bourses sont actives sur le territoire français, par exemple NordPool, marché de gros initialement centré sur les pays scandinaves.

Un marché de gros est une plateforme informatique (analogue à la Bourse des valeurs où sont négociées les actions) sur laquelle les participants déposent, chaque jour pour le jour suivant, des ordres d’achat ou de vente d’électricité. D’où son nom de marché Day ahead, encore appelé « marché spot ».

D’un côté, des demandeurs (le plus souvent des fournisseurs ou revendeurs qui en ont besoin pour alimenter leurs clients) expriment des besoins d’électricité en grande quantité soit heure par heure, soit sous forme de « blocs », c’est -à-dire une certaine puissance pendant un certain nombre d’heures, à un instant donné de la journée. Ces demandes sont faites à un prix d’achat reflétant principalement l’heure de la journée à laquelle ils s’appliquent.

De l’autre, des offreurs qui proposent eux aussi des blocs à des prix qui, in fine, reflètent la nature du combustible de production de l’électricité proposée : charbon, gaz, hydraulique…

 Les ordres sont enregistrés par les acteurs du marché avant la clôture du carnet d’ordres à 12h00. Sur la base des ordres d’achat, l’opérateur de Bourse lance un algorithme d’appairage qui établit une courbe de demande, basée sur les ordres de vente, et une courbe d’offre pour chaque heure du jour suivant. Le prix de compensation du marché (MCP), qui équilibre l’offre et la demande, se trouve à l’intersection des deux courbes et reflète le coût marginal de production.

Accessoirement, la place de marché assure également le règlement financier des échanges. Mais les échanges physiques du lendemain, eux, sont assurés par RTE qui veille ce qu’à chaque instant la consommation d’électricité soit bien assurée par une production suffisante.

Mais le marché de gros est très insuffisant pour fournir l’électricité nécessaire aux fournisseurs alternatifs pour se sourcer et satisfaire leurs clients. Les acteurs du marché de l’électricité préfèrent des échanges de gré à gré, plus sûrs et à des prix mieux maitrisés. C’est pour cette raison qu’en France, seul un tiers des échanges d’électricité se font sur le marché de gros. En outre, les quantités d’électricité qui s’y échangent viennent surtout des productions les plus chères : charbon et hydrocarbures et ne permettent donc pas aux commercialisateurs des marges suffisamment rémunératrices. C’est pourquoi on a considéré que cette limitation constituait un obstacle au développement de la concurrence et qu’il était nécessaire que les fournisseurs alternatifs aient dans leur portefeuille une offre d’électricité en base. C’est ce qui a conduit le gouvernement Fillon en 2010 à mettre en place le dispositif d’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (ARENH).

Ce dispositif permet aux fournisseurs alternatifs, depuis le 1er juillet 2011 et jusqu’au 31 décembre 2025, d’acheter à un prix particulièrement intéressant l’électricité produite par les centrales nucléaires historiques d’EDF situées sur le territoire national, en obligeant EDF à céder cette électricité à un prix fixé par décret. Depuis le 1er janvier 2012 et jusqu’à fin 2021, le volume total de ce cadeau a représenté 100TWh annuels, soit plus du quart de la production nucléaire, cédés à un prix de 42 € / MWh qui n’a pas évolué depuis 2012, malgré l’augmentation continue des coûts de production du nucléaire sur la période (+ 46 % entre 2011 et 2021.

L’enfer étant pavé de bonnes intentions, les fournisseurs alternatifs étaient supposés répercuter ces faibles coûts d’approvisionnement sur leur propre clientèle. Pour cette raison, la loi prévoyait que les fournisseurs éligibles à l’ARENH devaient faire la demande d’une quantité fonction de l’importance de leur portefeuille de clients. Si le total des demandes excédait le plafond (aujourd’hui 120 TWh) alors, les demandes étaient écrêtées pour redescendre à ce plafond. Ex post, la commission de régulation de l’énergie (CRE) est en charge de vérifier que la demande de chaque fournisseur est bien conforme à la quantité que lui permet l’importance de sa clientèle. Or, lors de son dernier rapport de contrôle, la CRE a constaté que plus de 60 % des demandes d’ARENH étaient excessives.

L’impact le plus important de l’ARENH est évidemment celui sur la santé financière d’EDF. Pour l’entreprise, l’ARENH, contrairement aux intentions affichées, ne couvre même pas ses coûts de production nucléaire. Pour sa part, la CRE estime que les coûts de production sont correctement couverts mais la Cour des comptes est moins affirmative, même si elle estime que les coûts de production d’EDF sont couverts par l’ARENH, au moins selon une appréciation strictement comptable, c’est-à-dire sans prendre en compte les coûts de développement

 Consciente de la difficulté du problème, la Cour reste toutefois prudente : «la rémunération de cette filière est toutefois dépendante de paramètres difficilement pilotables, y compris les effets de l’écrêtement, ce qui ne permet pas au dispositif de l’ARENH de garantir la couverture des coûts ».

En revanche, la Cour des comptes a estimé clairement « qu’en l’absence d’ARENH, les revenus du nucléaire, sur l’ensemble de la période 2011-2021, auraient excédé les coûts comptables d’environ 7 milliards d’euros sur la période. L’ARENH a ainsi limité les revenus du producteur nucléaire ». On imagine assez bien l’impact négatif que cette disposition a pu avoir sur la capacité d’investissement d’EDF et donc sur le renouvellement du parc nucléaire.

La situation s’est compliquée fin 2021 avec la hausse brutale des prix de gros qui ont entraîné un approvisionnement plus coûteux pour les fournisseurs alternatifs. Le gouvernement s’est donc empressé de voler à leur secours au détriment d’EDF en relevant à partir de 2022 à 120 TWh la quantité d’électricité cédée dans le cadre de l’ARENH, avec, il est vrai, une petite compensation en relevant le prix de vente obligé à 46 € /MWh (depuis, l’Assemblée nationale a porté ce prix à 49,5 euros contre l’avis du gouvernement). Cette augmentation a eu un effet encore plus pervers que les années précédentes, puisqu’elle coïncide avec une baisse historique de la production nucléaire française (fin juillet, 30 sur les 56 réacteurs français étaient à l’arrêt, 18 pour maintenance programmée et 12 pour des problèmes de corrosion). EDF a donc dû avoir un recours accru au marché de gros. Dans ses comptes semestriels publiés en juillet, EDF évalue à 10 milliards d’euros les conséquences financières de ces nouvelles mesures.

À suivre…

2 réflexions sur “Notre électricité est chère… Mais pourquoi ? (3)

  1. Chassaigne

    « On a perdu un temps » et une « énergie considérables » sur le nucléaire, a déploré mercredi le chef de file des députés communistes André Chassaigne, en plaidant pour une « politique extrêmement offensive » afin de pourvoir aux besoins en électricité.

    « On a perdu un temps considérable. Tout simplement parce que pour la majorité, que ce soit avec les socialistes ou avec la République en Marche, il a fallu donner des gages à ceux qui étaient contre l’énergie nucléaire », a déploré le député, lors d’un entretien avec l’association des journalistes parlementaires (AJP).

    L' »avancée que la France avait au niveau scientifique, technologique, au niveau du savoir-faire, s’est perdue ou atténuée du moins. Il faut une politique extrêmement offensive par rapport au nucléaire », a insisté l’élu du Puy-de-Dôme.

    La question de l’énergie, déjà prégnante dans les débats budgétaires, va continuer de rythmer les prochains mois à l’Assemblée. D’abord avec l’examen d’un projet de loi sur les énergies renouvelables, puis avec l’arrivée d’un second texte du gouvernement pour accélérer le développement de l’énergie nucléaire, sur lequel les groupes de gauche pourraient avancer divisés, les communistes étant traditionnellement plus favorables au nucléaire.

    Mercredi, la Première ministre Élisabeth Borne est également venu ouvrir un débat avec les députés sur la politique énergétique de la France.

    Pour le groupe communiste, le député normand Sébastien Jumel y a plaidé pour un « mix énergétique équilibré, intelligent », entre nucléaire et énergies renouvelables.

    « Pour les ENR, pas n’importe où, pas n’importe comment, pas avec n’importe qui et surtout pas sans les gens, pas sans les maires et sans le respect des territoires », a-t-il martelé.

    « Les gros problèmes qu’on a aujourd’hui avec les éoliennes, avec le photovoltaïque en particulier, c’est que ce sont des productions énergétiques qui sont entre les mains de PME, de différentes entreprises, qui vont chercher des implantations qui ne tiennent pas forcément compte de l’intérêt général », a avancé M. Chassaigne.

    « Je préfèrerais qu’il y ait une maîtrise publique de l’ensemble de la production énergétique et de la distribution dans ce pays, et non pas cet espèce de méli-mélo où l’on fait à peu près tout et n’importe quoi », a-t-il défendu.

    AFP, publié le mercredi 16 novembre 2022 à 19h26

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