L’appel de l’Humanité pour la gratuité des masques
Dans les jours qui viennent commence une nouvelle étape qui nous permettra peut-être de retrouver progressivement une part de liberté. Les trois semaines qui nous séparent du mois de juin correspondent à la phase d’incubation du virus ; il sera donc possible d’ici là d’avoir une évaluation sur l’évolution de l’épidémie, et surtout sur la possibilité d’une deuxième vague de Covid-19.
La prudence doit donc être de mise même si de nombreux facteurs montrent actuellement une diminution de son intensité. Dans ce contexte, il serait indispensable de continuer à protéger plus efficacement les personnels soignants, à multiplier les tests, et de rendre gratuits les masques de protection. C’est d’ailleurs un principe constitutionnel du droit à la santé, et du devoir de l’État de protéger les populations.
C’est le sens de la campagne lancée par L’Humanité pour obtenir la fourniture gratuite des masques aux citoyens. Car dans le contexte actuel les masques ne peuvent être considérés comme de simples marchandises qu’on étalerait aux caisses des supermarchés : ils représentent un moyen de protection collective et un outil de santé publique. En conséquence, ils doivent être gratuits. Certains pays européens l’ont déjà décidé. Des collectivités locales également. Pourquoi le gouvernement de la sixième puissance mondiale ne le pourrait-il pas ?
L’affaire des masques de protection devient le sparadrap rouge collant aux basques du pouvoir.
Il y eut d’abord ces mensonges en séries sur leur inutilité pour camoufler une pénurie qui n’a rien de naturelle. Celle-ci découle d’une part de la destruction de nos industries textiles considérées comme dépassées par les grands penseurs du libéralisme et leurs serviteurs au pouvoir depuis des décennies, et d’autre part des choix de réduction des crédits publics poussant au « zéro stock », également présenté comme le nec plus ultra de la modernité. Cette pénurie a mis en danger soignants comme patients. Elle est sans doute responsable de nombreuses contaminations et décès.
Puis au fil des semaines, le masque est devenu utile, indispensable même, alors que les soignants continuaient d’en manquer. Et le pouvoir souhaite désormais le rendre obligatoire dans les transports publics.
Depuis quelques jours, ce qui n’existait pas tombe par paquets de millions, mais sur les étals des supermarchés, comme produit d’appel pour attirer le chaland qui devra demain reprendre les transports en commun. Le scandale est encore plus gros quand on sait que cette opération a été annoncée tambour battant il y a huit jours dans un communiqué commun de la Fédération du commerce et de la distribution et de secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, et présentée comme un haut fait d’armes. De qui se moque-t-on ? Une commission d’enquête parlementaire doit rapidement faire la clarté la plus nette sur une affaire qui a plus à voir avec le mercantilisme qu’avec la santé publique.
Les masques ne peuvent être des marchandises étalées aux caisses des supermarchés pour grossir le ticket de caisse, attirer et fidéliser les clients. Ils sont un moyen de protection civile et collective, et un outil de santé publique. A ce titre, ils devraient être assurés, en lien avec les collectivités, par les services de la Sécurité civile. Si les travailleurs contraints de reprendre leur activité venaient à contracter le virus faute d’avoir pu accéder à des masques de protection, l’État serait comptable d’une mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen nous rappelle que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Et, l’article 11 du préambule de la Constitution confirme bien ce « droit à la protection ». En conséquence, les masques doivent être gratuits.
Certains pays européens l’ont décidé. Des collectivités locales également. Pourquoi le gouvernement de la sixième puissance mondiale ne le pourrait-il pas ? Ce pays où l’argent des dividendes continue de couler à flot, ce pays où l’on peut en une nuit débloquer des milliards pour consolider des entreprises dont la trésorerie est loin d’être à sec. Pourquoi une famille de quatre personnes qui a déjà du mal à joindre les deux bouts doit encore alourdir ses dépenses du mois de 80 à 150 € pour assurer sa santé et celle des autres ? On nous dit que les prix des masques seront bloqués en deçà de 1 euro, soit peu ou prou leur prix de revient. Pourtant, plusieurs témoignages indiquent que non seulement ce prix est pour l’instant fictif, mais qu’en plus on trouvait en janvier des masques à seulement 8 centimes. Une prise en main par L’État imposant la gratuité couperait court à toute tentative de spéculation.
Réclamons partout et par tous les moyens la gratuité des masques. Il en va de l’intérêt public. Et, pour une fois, appuyons nous sur cette déclaration de Mme Agnès Buzyn le 29 janvier dernier : « si un jour nous devions proposer à telle ou telle population ou personne à risque de porter des masques, les autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin » C’était certes pour cacher la pénurie. Mais, aux actes maintenant ! Lançons un grand mouvement pluraliste pour la gratuité des masques !
Pour le budget masque d’une famille il faut compter 200 euros par mois, estime Alain Bazot.
Tout le monde ne pourra pas s’offrir le masque arboré, mardi, par Emmanuel Macron dans une école des Yvelines. Fabriqué par la bonneterie Chanteclair, dans l’Aube, cette protection en tissu lavable est facturée 4,92 euros pièce. Très au-dessus du prix des masques chirurgicaux, plafonné à 95 centimes l’unité. Sauf que ces derniers ne sont pas réutilisables. « Avec un masque chirurgical, disons à 60 centimes d’euro, le budget pour une famille de quatre personnes peut s’élever à plus de 200 euros par mois », estime le président de l’UFC-Que choisir, Alain Bazot, qui réclame « une mise à disposition gratuite ou à vil prix » de ces masques dans les services publics, les écoles et les transports.
Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/video-le-velo-star-attendue-du-deconfinement_3954827.html
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Champigny lance un plan d’urgence d’1,7 million d’euros pour faire face à la crise
Bons d’achat pour les familles les plus précaires, aide aux commerces, animations cet été dans les quartiers : la ville communiste dégaine un plan d’accompagnement du dé confinement.
Limiter l’ampleur de la crise sociale qui accompagne l’actuelle crise sanitaire. Voici l’objectif des élus de Champigny. Ce jeudi matin, le maire PCF Christian Fautré tenait une conférence de presse pour présenter son « Plan communal d’urgence d’un montant de 1,7 M€ ». Un panel de mesures qu’il a présenté ce mercredi aux présidents de groupe du conseil municipal, et dont les actions entreront en vigueur dès la semaine prochaine « pour accompagner le dé confinement » des Campinois.
« Ce qui reste à venir dans les prochains mois risque socialement d’être particulièrement difficile, nous prenons nos responsabilités », annonce Christian Fautré, candidat à sa succession pour les municipales, dont le processus n’est pas achevé. Si le second tour des élections n’a pas lieu en juin, un conseil municipal sera réuni pour voter officiellement toutes ces mesures, mais elles s’appliquent déjà.
Des bons d’achat pour les plus précaires
C’est l’une des mesures phares du plan : les familles les plus précaires bénéficieront dès la semaine prochaine de bons d’achat leur permettant d’acheter de la nourriture auprès des commerçants de la ville. « La question alimentaire est essentielle, elle arrive juste après celle de la santé, et avec la hausse du prix des denrées, pour beaucoup, même salariés, c’est la galère », insiste Christian Fautré. 3 275 familles, dont le revenu est inférieur à 1 500 € si elles ont un enfant et à 1 800 € si elles en ont deux ou plus, toucheront 100 € de bons d’achat, plus 50 € par enfant supplémentaire. En tout, 8 194 enfants, qui souvent bénéficiaient de repas à la cantine à bas coût, seront touchés par cette mesure, qui coûtera en tout plus de 600 000 €.
Pendant le confinement, la ville avait organisé 10 distributions de paniers alimentaires, qui ont bénéficié « à l’équivalent de 20 000 habitants » et « coûté 60 000 € », précise le maire.
Les commerçants aidés pour s’équiper
En plus des sommes que les familles dépenseront chez eux grâce aux bons d’achat, les commerçants toucheront une aide directe de la ville. « Nous avons prévu, pour ceux dont le dossier a déjà été retenu pour l’aide de l’Etat, une aide de 350 €, précise Christian Fautré. Cela leur permettra par exemple d’installer des protections en verre ou d’acheter des masques. » Les commerçants seront exonérés de taxe d’occupation du domaine public pour ces deux mois et ceux qui sont locataires de la ville, comme la librairie de la place Lénine, se voient offrir un trimestre de loyer.
L’opposition regrette de ne pas être associée aux démarches
La réunion des présidents de groupes du conseil municipal organisée ce mercredi était la première depuis le confinement. Alors que le deuxième tour n’a pas encore eu lieu, les candidats qualifiés pour cette échéance se sentent exclus de la vie municipale. « J’ai écrit au maire dès le 23 mars pour dire ma disponibilité, j’ai tendu la main, il ne l’a pas saisi, regrette Laurent Jeanne (Libres !), arrivé en tête du premier tour. Les paniers alimentaires ont été distribués sans y associer les conseillers municipaux, tandis que des candidats de la liste du maire, non-élus, y ont participé. Sur le fond, ces mesures annoncées ne posent pas de problème, mais sur la forme, est-ce une opération municipale ou électorale ? Il y a une volonté de ne pas nous communiquer d’informations, et de ne pas discuter des mesures. Je déplore par exemple le peu de solutions mises en œuvre pour permettre de rouvrir les écoles et de permettre aux parents qui le doivent de retourner travailler. »
Des primes pour les agents mobilisés
Le confinement, ils l’ont passé sur le terrain ou dans leur bureau. Pour les agents municipaux qui ont dû assurer le service public pendant ces deux mois, la ville prévoit une prime, en fonction du nombre de jours travaillés. 240 000 € y seront consacrés. Certains agents devraient toucher « au moins 500 à 600 € ».
L’accompagnement éducatif au cœur du dispositif
Inquiets du décrochage scolaire de certains enfants et des soucis de connexion informatique de beaucoup, la ville débloque 50 000 € pour acheter du matériel scolaire, du papier, de l’encre, des connexions à Internet, des livres. Christian Fautré envisage même l’achat de cahiers de vacances pour tous les élèves.
Des animations, comme celles organisées au Bois-l’Abbé chaque année, pourraient avoir lieu cet été.
Les quartiers bénéficieront d’animations cet été
Qui dit confinement et difficultés sociales, dit très peu de départs en vacances cet été. Les élus de Champigny perçoivent déjà la déception des habitants devant l’annulation de Champigny-plage, qui connaît chaque mois de juillet un succès considérable. « Nous multiplierons si c’est autorisé, les animations quartiers par quartiers sur le modèle de Croquez l’été », assure Christian Fautré, qui ne sait pas pour l’instant si les centres de loisirs pourront ouvrir.
Beaucoup d’achats de masques, gel…
Rien que les 70 000 masques achetés par la ville pour en fournir 2 par foyer, représentent une facture de 260 000 €. Pour équiper les 36 écoles en matériel adéquat permettant la reprise : 20 000 €. Pour protéger les agents : 50 000 €. Deux associations, le Secours populaire et Emmaüs, ont déjà été accompagnées dans l’urgence. Le coût de l’ouverture du centre Covid n’est pas encore consolidé, mais il sera important.
La hausse de la population finance une partie du plan
Comment financer de telles mesures dans l’urgence ? La mairie assure qu’une part importante (500 000 €) provient de la hausse des bases d’impôts, due à l’augmentation du nombre d’habitants. La métropole a promis 160 000 € de dotation de solidarité, l’Etat compensera 150 000 € d’achats de masques, certaines annulations comme Champigny-plage permettent de « réorienter des crédits ». « Nous baisserons aussi de façon ponctuelle notre autofinancement, soit 350 000 € récupérés, précise le maire de Champigny. Et nous ferons une demande d’aide à l’Etat pour les 300 000 € qui manquent. »
Le Parisien
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Coronavirus : les soignants sans prime ni réconfort
Les soignants se sont-ils une fois de plus dévoués pour rien ? Le versement de la prime et de leurs heures supplémentaires majorées promis par le gouvernement prend du retard, faute de décrets publiés. Dans plusieurs hôpitaux, les directions ont recommencé la chasse aux économies à leur détriment. Dérapages isolés ou retour à une gestion comptable des soins ?
Chaque signe du retour à « une gestion comptable de l’hôpital » est guetté et redouté par les soignants. (Benoit Tessier/Reuters)
Par Elsa Freyssenet
Publié le 12 mai 2020 à 16h00
Ce sont deux notes de service affichées côte à côte sur les murs d’un hôpital francilien particulièrement mobilisé pour endiguer le coronavirus. En les lisant, les soignants, en première ligne depuis mars, ont eu un haut-le-coeur. La plus récente, datée du 5 mai, concerne la prime de 1.500 euros promise pour la fin de ce mois par le gouvernement aux personnels hospitaliers des 33 départements français les plus touchés : « Aucun texte n’a été publié, nous n’avons donc aucune certitude quant à l’application de cette prime, a écrit le directeur des ressources humaines de l’établissement. La seule certitude est que cette prime ne pourra pas être versée sur les salaires du mois de mai. » Et pourtant, elle avait été annoncée dès le 25 mars par le président de la République et adoptée en Conseil des ministres le 15 avril en même temps qu’une majoration de 50 % du paiement des heures supplémentaires. Quatre semaines plus tard, il n’y a toujours pas de décret d’application paru au « Journal officiel ».
Amertume chez les héros
Mais ce n’est pas tout : sur le même mur, il y a une deuxième note, plus ancienne. Le 25 avril, le même DRH commençait par un constat : « Les personnels les plus mobilisés ont impérativement besoin de repos. » Il les incite donc à prendre des récupérations « dès que possible ». Puis arrive une précision déprimante : « Uniquement pour ceux ayant un dépassement de compteur horaire important, il sera possible de payer une partie du solde, à condition que les récupérations possibles aient été prises. » Traduction : les soignants qui ont accumulé des heures et des heures de travail ne pourront pas se les faire rémunérer en totalité et doivent les transformer en jour de repos.
Cet hôpital de la banlieue sud n’est pas un cas isolé – on y reviendra – même si la tentative de rogner sur la rétribution des agents y est exprimée de façon plus directe qu’ailleurs.
« La parution du décret est imminente. »
Forcément, cela suscite de l’amertume chez des professionnels de la santé maintes fois qualifiés de « héros » par Emmanuel Macron et encore applaudis chaque soir par les Français. Au plus fort de la crise, ils ont assumé leur mission malgré les difficultés, exposé leur propre santé et celle de leur famille. « Nous serons au rendez-vous de ce que nous leur devons », avait affirmé le chef de l’Etat.
« La parution du décret est imminente », assure aujourd’hui aux « Echos » le ministre de la Santé, Olivier Véran. Et d’ajouter : « Sans attendre, les consignes ont été transmises et sont donc connues par les logiciels de paie. » Pas de tous, apparemment.
RECIT DE SOIGNANT « Les personnels ont tenu, pas le système »
Dans le cas de notre hôpital francilien, deux responsabilités se conjuguent : celle du gouvernement, qui a pris du retard dans la concrétisation de sa promesse, et celle de la direction de l’établissement, qui cherche à colmater son budget, au détriment du personnel. Aurélien Rousseau, le directeur général de l’ARS d’Ile-de-France (qui chapeaute financièrement les hôpitaux de la région), est formel : « J’ai demandé aux établissements de permettre aux équipes de se reposer car l’épidémie n’est pas finie, mais il n’y a pas de mesquinerie financière dans la période, toutes les heures supplémentaires seront payées. »
« Panique à bord »
En théorie donc, les hospitaliers devraient à la fois gagner plus et prendre quelques congés. Mais alors, que se passe-t-il ici et là dans la région capitale ? Dans un centre hospitalier départemental, un chef de service qui voulait faire rémunérer des psychologues venues chaque week-end accompagner les patients et aider leurs familles a reçu cette réponse par e-mail : « Les astreintes que vous déclarez pour les deux psychologues seront prises en compte en jours de récupération. » Les intéressées, travaillant d’ordinaire à temps partiel (les temps pleins sont difficiles à obtenir), la récupération n’est pas leur priorité. « En ce moment, c’est panique à bord : les budgets ont explosé et l’épidémie peut redémarrer, explique une cadre. Donc les directions nous demandent de poser des jours de repos pour les soignants. »
Tous les hospitaliers admettent avoir besoin de souffler, mais la codification administrative des jours qu’ils posent est importante : s’ils prennent leurs congés annuels, ils conservent leurs heures sup rémunérées ; s’ils sont en récupération, ils en perdent… Et c’est là que les consignes données aux cadres prennent tout leur sens.
Contrat annulé
De ce point de vue, la DRH de l’AP-HP a rappelé par écrit qu’il devait y avoir « une proposition systématique de rémunération ». Mais cela n’épuise pas le sujet : une interne venue prêter main-forte dans le service de pointe d’un hôpital parisien n’a pas été payée du tout depuis six semaines : elle vient d’apprendre que son contrat est annulé car « il n’y a pas tous les papiers ». Dans un établissement de banlieue, un service d’infectiologie fonctionne sans cadre depuis le 30 avril : il n’y a plus personne pour gérer le planning et assurer les commandes de matériel, la titulaire est en congé maternité jusqu’en septembre et, malgré le risque de deuxième vague épidémique, il n’est pas prévu qu’elle soit remplacée.
Dans un hôpital du sud de la France, lui aussi très exposé, les médecins qui ont multiplié les astreintes et consultations le week-end n’ont pas obtenu de réponses claires sur leur paiement. « C’est le retour à l’anormal », soupire un praticien hospitalier.
Grand flou
Ces pratiques sont-elles généralisées ? Notre enquête ne permet pas de le conclure. Une seule certitude : c’est le grand flou et c’est très mal vécu par un corps hospitalier qui contestait, bien avant le Covid, le manque d’effectifs et la faible rémunération des infirmiers, aides-soignants et personnels paramédicaux.
Pendant le pic épidémique, beaucoup de médecins ont, malgré le stress, confié aux « Echos » avoir une satisfaction : leur collaboration étroite et efficace avec les directions d’hôpitaux. Pour eux, qui se sentent généralement incompris et maltraités par la structure administrative, c’était nouveau. Et leur crainte était que ce ne soit qu’une parenthèse. Voilà pourquoi chaque signe du retour à « une gestion comptable de l’hôpital » est guetté et redouté.
« Pendant des semaines, nous avancions de concert avec la direction. S’agissait-il d’un miracle ou d’un mirage ? »
Hélène Gros, cheffe du service de médecine interne et maladies infectieuses à l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), l’a bien expliqué : « Jamais plus je n’ai entendu le mot ‘impossible’ au cours des réunions quotidiennes de crise, jamais nous n’entendions parler de finances, d’activité, de codage… L’humain était au premier plan de toutes nos discussions avec la direction, nous nous comprenions, nous avancions de concert vers un même objectif : prendre soin des malades. Alors s’agissait-il d’un miracle ou simplement d’un mirage ? » s’est-elle interrogée lors d’une conférence de presse du Collectif inter-hôpitaux. La psychologue de son service, en CDD renouvelable tous les trois mois depuis début 2019 et très active pendant l’épidémie malgré son statut précaire, n’a eu droit, le 30 avril dernier, qu’à un CDD d’un mois qui s’arrête fin mai. Dur atterrissage…
Codage honni
Elle n’est pas la seule. Egalement le 30 avril, quelque 130 chefs de service du pôle Sorbonne Université de l’AP-HP ont reçu un e-mail avec ce « point d’attention » (une alarme, en langage courant) : « L’exhaustivité du codage est excellente sur les sites de la rive droite et très basse sur la rive gauche. » En clair, les hôpitaux de la rive gauche ont eu le tort de négliger pendant quelques semaines le reporting administratif, ce qui risque de grever leur budget. Pas un mot pour relever que le plus gros de ces établissements, la Pitié-Salpêtrière, était alors fort occupé à décupler le nombre de ses lits Covid.
« La tarification à l’activité, c’est une horreur ! »
Le fameux codage est devenu la bête noire des hospitaliers depuis l’instauration de la tarification à l’activité en 2004 – « C’est une horreur », nous confiait même Agnès Buzyn lorsqu’elle était encore ministre de la Santé. Il y a deux ans, le gouvernement avait promis de le réformer. En attendant, à chaque acte médical correspond un code et un montant remboursé par l’Etat. « Il existe 2.200 tarifs ! La mise en oeuvre des règles est devenue folle avec le temps », souligne Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France.
« L’intendance nous rattrape »
Lors d’une réunion, lundi soir, de sa commission médicale d’établissement, la directrice de l’hôpital de Compiègne, au front depuis février, a fait un état des lieux : 1 million d’euros de dépenses supplémentaires et 3 millions d’euros de perte d’activité. « Rien n’est gravé dans le marbre sur le financement », a-t-elle précisé, selon plusieurs témoins. Frédéric Valletoux décrypte l’inquiétude de ses directeurs : « Ce que l’Etat a d’ores et déjà crédité ne suffira pas pour 2020. Tout le monde a bien en tête le ‘quoi qu’il en coûte’ formulé par Emmanuel Macron, mais il n’y a pas le début d’une clarification sur la part prise en charge par l’Etat. Donc, l’intendance nous rattrape. »
Tableaux Excel
La professeure en diabétologie Agnès Hartemann évoquait, la semaine dernière, « une douche froide » : « On a à nouveau des tableaux Excel, on nous calcule notre activité sur mars-avril et on nous pointe en négatif, ce qui est quand même incroyable, on compte les lits vides et on devient à nouveau obsessionnel des plannings. »
S’agissant de l’Ile-de-France, Aurélien Rousseau tient à le préciser : « Il n’y a aucune consigne de l’ARS qui consisterait à orienter les politiques hospitalières en fonction de leurs conséquences financières. On a vu que le système avait des absurdités, personne n’oubliera ce qui s’est passé. » Le patron de l’ARS du Grand Est a été limogé début avril pour avoir déclaré que les restructurations reprendraient après l’épidémie. Elles ont été gelées et le chef de l’Etat s’est engagé en faveur d’, mais sans donner de chiffres . « Nous donnerons très rapidement des signes au monde hospitalier », promet Olivier Véran. En attendant, tout le monde navigue à vue.
Elsa Freyssenet
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