Le centre municipal de santé, une idée moderne (1)

À l’heure où nos villes connaissent une certaine pénurie de médecins, et donc une difficulté d’accès aux soins pour de nombreuses personnes, revient en force l’idée des centres municipaux de santé. Il existe dans notre département plusieurs centres de santé. Lors de la dernière fête de l’Humanité, nous avons réuni pour un débat des professionnels de santé et des élus, impliqués directement dans ces structures. Voici les échanges qui ont eu lieu à cette occasion.

débat fête 1

Débat sur les centres de santé municipaux – Fête de l’humanité 

Espace coopératif 95 – samedi 14 septembre 2019

Intervenants

-Pierre Barros, maire de Fosses, où vient de s’ouvrir récemment un centre de santé

-Florelle Prio, maire-adjointe de Bezons, où une telle structure existe depuis longtemps

-Jean-Pierre Deschamps, prothésiste dentaire dans un centre de santé d’Argenteuil

-Docteur Guirec Loyer, Directeur des Services de Santé et de Prévention, Médecin Directeur des Centres Municipaux de Santé à Gennevilliers

-Alain Feuchot, responsable du PCF 95

Animation du débat : Isabelle Volat

Pourquoi ce débat ? Trois raisons

Tout d’abord, parce que dans nos villes, nous connaissons des déserts médicaux, car la pénurie généralisée de médecins se fait sentir sur tout le territoire, et pas seulement dans les campagnes. La population est confrontée à des difficultés toujours plus importantes pour consulter généralistes et spécialistes. L’accès aux soins devient une préoccupation majeure pour de nombreuses personnes. Face à cela, les citoyens ont tendance à se tourner vers leur maire, même si celui-ci n’a ni prérogatives, ni ressources spécifiques pour répondre à ces besoins. Mais grâce au principe de compétence générale, les collectivités peuvent intervenir. Pour toutes ces raisons, la santé sera sans nul doute un élément important des prochaines élections municipales de mars 2020.

Deuxième raison : les centres de santé sont une solution originale et efficace, avec des médecins salariés, qui pratiquent le tiers-payant, sans dépassements d’honoraires, qui travaillent en collaboration. Les centres de santé sont des structures publiques, contrairement aux maisons médicales privées. Donc les centres de santé peuvent apporter une réponse plus cohérente et plus originale aux problèmes de santé.

Troisième raison : dans notre département existent des expériences originales mais même nous, nous les connaissons assez mal. Il y a des villes, à direction communiste ou apparentée, qui ont implanté de longue date comme Bezons, un centre de santé. D’autres l’ont fait plus récemment, d’autres sont en train de finaliser leur projet comme à Cergy.  Pourtant, même parmi notre réseau proche, ces réalisations restent mal connues. Il nous a semblé indispensable de faire connaître et de partager ces expériences  diverses.  Et pourquoi pas, à l’approche des municipales 2020, de susciter de nouveaux projets ?

I.V. : Pouvez-vous chacun, présenter dans ses grandes lignes, votre centre de santé particulier ?

Florelle Prio : Le centre de santé de Bezons est bientôt centenaire ! Les centres de santé, c’est un marqueur important des villes de gauche, une tradition dans les villes communistes. À présent, on voit que de tout horizon, on s’intéresse aux centres de santé. À Bezons, il y avait au départ un dispensaire et  même avant, un centre d’hygiène. Ce sont les lois sociales de 1928 qui ont permis le dispensaire qui plus tard a évolué vers un centre de santé. C’est un centre polyvalent : médecine générale, qui est le cœur de l’offre de soins, et des spécialités par le biais de vacations, un pôle dentaire et un pôle paramédical avec infirmières, kinés, kinés à domicile, donc une offre assez large et variée. Si on voit que les centres de santé sont aujourd’hui incontournables dans le paysage de l’offre de soins, et que c’est souvent un des rares accès aux soins pour la population, c’est aussi hérité de la politique nationale et des différentes politiques de santé qui se sont succédé depuis des décennies. Le blocage du numérus clausus et les modes d’exercice font que les jeunes médecins maintenant n’ont pas forcément envie de s’installer en cabinet libéral. Ils s’adressent plus facilement vers une offre et une pratique pluri-professionnelle, sur des regroupements de professionnels. Dans un centre de santé, ils peuvent vraiment se consacrer à leur pratique professionnelle puisque déchargés de tout ce qui est tâches administratives. C’est particulièrement important et ils ont un cadre de travail qui est règlementé, qui leur permet d’avoir à côté une vie personnelle, sociale, culturelle… ce que tout le monde est en droit d’attendre : on est bien loin du sacerdoce de la médecine d’il y a quarante ou cinquante ans. L’image doit évoluer. Tout cela fait que nos centres de santé sont attractifs. Avoir un centre de santé, c’est aussi permettre à tous les gens bénéficiaires de CMU, retour aux droits, d’avoir une offre de soins et d’être accueillis dans des consultations, ce qui est souvent difficile dans les cabinets en médecine libérale. On le constate très souvent.

Pierre Barros : La réalisation d’un parcours de santé c’est presque un parcours du combattant, au moins une démarche partenariale. Cela démarre souvent par quelque chose d’assez douloureux : des médecins de 60 ou 70 ans viennent voir le maire en disant qu’ils partent en retraite et demandent à la ville de racheter leur cabinet médical. Cela démarre donc par une offre de santé portée par des professionnels libéraux qui n’ont pas forcément assuré le renouvellement. C’est déjà un problème qu’on vienne voir les élus quand le système ne marche plus ! Il y a un dysfonctionnement du côté du privé : c’est le public local qui récupère le problème. Face à ça, à Fosses, avec les élus de Marly la Ville, on a décidé d’agir et de racheter le cabinet médical pour conserver une offre de soins car en quelques années, on passait de dix médecins à deux, et à la fin à plus personne car le report de patientèle sur deux médecins est tel que cela n’est pas tenable. La première étape a été de racheter le cabinet médical via l’intercommunalité et on a réuni ensemble les professionnels de santé, médecins, spécialistes, infirmières, en posant le problème, en invitant l’ARS, les syndicats de professionnels, le Conseil de l’ordre, pour faire un état des lieux et de la situation, du paysage médical, de l’offre de soins sur le territoire. On s’est aperçu qu’il fallait travailler avec tout le monde. La décision du centre municipal de santé est venue au fur et à mesure, toujours avec Marly-la-Ville puisqu’il existe une proximité importante. Le centre de santé était le chaînon manquant du parcours de santé sur le territoire, complémentaire à l’exercice libéral de la médecine. En travaillant comme cela, on a réussi à embarquer avec  nous un ensemble de médecins qui continuent aujourd’hui à exercer sur la ville de Fosses. C’était important parce qu’on avait aussi besoin d’eux pour éviter de se retrouver dans un fonctionnement en concurrence et de permettre aux médecins libéraux qui étaient prêts à partir de rester et de construire leur propre projet. On a donc construit une solution municipale intercommunale d’un service public de santé. L’impulsion portée par un travail à l’échelle publique tire aussi des initiatives privées et cela permet de répondre ensemble par une solution globale d’offre de santé sur le territoire. C’est une belle expérience même si c’est compliqué avec les intérêts des médecins, des médecins parfois en burn-out. C’est parfois douloureux de gérer cela. Maintenant cela se passe bien avec les médecins généralistes, moins avec les spécialistes parce que le centre de santé « déstabilise un peu  le marché ». Bref, une belle expérience de « co-construction » entre public et privé  pour un objet de santé publique.

Guirec Loyer : Je ne suis plus dans le 95 en tant que praticien depuis deux ans. Je suis directeur de la santé de la ville de Gennevilliers. J’ai la chance d’être dans une ville qui a eu les moyens de tout temps de porter un programme de santé très ambitieux. Depuis le Front populaire, il y a un énorme centre de santé et aujourd’hui on doit avoir la plus grosse structure municipale d’Île-de-France. Quelque chose de très important pour aller dans le sens de Florelle Prio et Pierre Barros, s’il y a un déficit de l’offre libérale, historiquement quand on discute avec l’ordre ou l’union régionale des praticiens de santé, qui sont des instances libérales, ils sont représentés par de vieux médecins qui sont complètement hors-sol et qui n’ont plus rien compris à ce qu’est la médecine actuelle, à savoir que les jeunes veulent bosser ensemble et être salariés. Cela explique le non-remplacement des médecins libéraux. Les quelques-uns qui veulent encore travailler sur le secteur, voire monter une maison de santé, ce n’est pas possible s’ils sentent que la charge de travail va être trop énorme. Gennevilliers a une spécificité, c’est qu’on a signé une convention avec l’assistance publique des hôpitaux de Paris et qu’on est la seule offre de spécialités en secteur 1 sur tout le territoire. Ce qui fait qu’on est une ressource pour les médecins libéraux avec lesquels on a signé une charte d’exercice de la médecine sur Gennevilliers, ce qui fait que même les libéraux à Gennevilliers pratiquent le tiers-payant, sont au tarif opposable de la Sécu et le centre de santé est le lieu où les médecins libéraux ont leur recours pour tous les avis spécialisés. On travaille en bonne intelligence. Aujourd’hui on se fait un peu tordre le bras par l’agence régionale de santé qui veut qu’on monte «des communautés professionnelles territoriales de santé».  Ça veut dire que pour mieux organiser les parcours de soins des patients, coordonner la ville, l’hôpital, le médico-social… on va être obligés de bosser avec les médecins libéraux, et cela va être partout le cas. Dans des villes comme la nôtre où ça se passe bien, ça va être assez simple, visiblement sur Fosses, ça ne devrait pas poser trop de difficultés mais j’ai connu des villes, dans de précédents postes, quand j’avais été reçu par le représentant local de l’ordre, il m’avait expliqué que je n’étais pas le bienvenu, parce qu’on était des concurrents à la médecine libérale.  À Bezons, la médecine libérale a perdu 70% de ses effectifs durant les six ans où j’étais sur place, et la seule offre qui soit organisée sur Bezons est le centre de santé. Il faut vraiment qu’on travaille sur ces structures-là. Par ailleurs, j’ai été secrétaire général-adjoint de la fédération nationale des centres de santé et j’étais chargé d’accompagner les porteurs de projets. Dans toutes les villes où il y a eu des tentatives de maisons de santé, où la ville a racheté les murs des libéraux pour essayer de sauver la mise, les équipes sont parties en retraite quand même, personne n’est venu parce qu’une maison de santé, ça ne se décrète pas, c’est une « démarche entrepreneuriale », ce sont des gars qui décident de bosser ensemble et le pouvoir politique local n’aura jamais aucun pouvoir pour déclencher des politiques de santé publique chez des médecins libéraux. Le centre de santé est la solution. Dans toutes ces villes où je suis allé, de la Sarthe à la Haute Normandie, cela s’est toujours terminé par un projet de centre de santé ensuite, mais en ayant perdu cinq ou six ans. Quant à l’équilibre économique des centres de santé, on est porteurs de structures très anciennes comme à Bezons ou Gennevilliers, où il y a eu des choix politiques forts, qui étaient de mettre des spécialités en sachant très bien qu’on allait perdre de l’argent. Une infirmière en centre de santé ne rapporte pas. Un kiné non plus, surtout quand il fait du domicile. Donc effectivement, c’est un vrai choix politique que de porter un centre de santé. Mais comme on porte une piscine ! Mais aujourd’hui on sait construire des centres de santé avec de la médecine générale qui seraient à l’équilibre économique. Il faut promouvoir ce genre de structures, il faut en faire parler, parce qu’elles sont encore beaucoup trop méconnues.

Jean-Pierre Deschamps : Je rejoins ce qui s’est dit. Les centres de santé sont le fruit d’un choix politique. En Île-de-France, j’étais secrétaire du syndicat des personnels dentaires, prothésistes et assistantes. Dans le Val de Marne, la Seine-Saint-Denis, les Hauts de Seine et le Val d’Oise, là où il y a des élus communistes et de gauche, se créent et se maintiennent les centres de santé. Je suis à présent retraité mais je travaillais il y a dix ans au centre de santé d’Argenteuil. Dans les années 70 quand j’ai démarré au labo de prothèse, on était 17 et aujourd’hui c’est divisé par cinq. C’est vraiment un choix politique parce qu’à Argenteuil est venu à un moment donné un certain Manuel Valls, qui était élu à la santé. Il y a deux centres de santé à Argenteuil, en centre-ville et une annexe au Val nord. Et quand il passait dans le centre, il disait qu’on était beaucoup trop nombreux, qu’il fallait faire des coupes, des réductions de budgets mais n’a jamais été capable de nous dire quels services il voulait supprimer. On savait que c’était les kinés et le labo de prothèse. Donc c’est un combat et une volonté politique.

Alain Feuchot : Je vais citer un exemple qui est un peu différent de tout ce qui vient d’être exprimé par les élus et professionnels de santé. C’est celui de Franconville. Lorsque la municipalité a été gagnée par une liste de rassemblement d’union autour d’Annie Brunet, communiste, a été mis en place un projet et réalisé un centre de santé. Malheureusement, la municipalité a été battue à la fin du premier mandat et celui qui est devenu maire, très longtemps, député, sénateur, monsieur Delattre, a tout fait pour essayer de se débarrasser de ce centre de santé, il l’a dévitalisé. Les habitants de Montigny-lès Cormeilles, qui jouxte Franconville, et qui fréquentaient le centre de santé, et bien il a décidé que le centre de santé était municipal et que donc les non-résidents à Franconville n’y avaient plus accès, ce qui est totalement illégal. Et puis s’est créée au début des années 2000 une communauté de communes, puis une communauté d’agglomération. Monsieur Delattre a voulu se débarrasser de la gestion du centre de santé, et en proposant à l’ensemble des collègues de l’interco d’avoir une compétence supplémentaire pour gérer le seul centre de santé qu’il y avait sur l’interco. Donc ce centre est dévitalisé, avec une toute petite voilure et il perd complètement de sa vitalité et de son essence. Et donc on peut aussi, par choix politique, tuer un outil de proximité. C’est un contre-exemple, un autre choix politique. C’est un projet qui doit s’inscrire dans une démarche pour la justice et le droit à la santé pour tous. C’est un petit clin d’œil à nos collègues de Cergy, qui portaient, dans la campagne des municipales de 2014, ce projet phare de la liste qu’ils conduisaient au premier tour, liste de rassemblement, avec celui qui est devenu le maire : ce projet va voir le jour, concrètement, en 2020, un projet municipal. Peut-être n’a-t-on pas été assez audacieux pour en faire un projet de l’agglo ? Et donc à Cergy, avec le maire socialiste, avec son adjointe communiste, va se réaliser un centre de santé municipal. On peut aussi, même quand on n’est pas à la direction directe des affaires, mais dans une majorité, porter des projets de ce type.

À suivre…

Une réflexion sur “Le centre municipal de santé, une idée moderne (1)

  1. Alors on boîte ?

    Ne peut-on pas tirer de ce débat un papier qui serait distribué aux gratiennois, sur l’intérêt d’un centre de santé à stgratien ?

    Court état des lieux de l’offre de santé en ville et Modalités de la mise en place d’un cds…

    Qqch de didactique… ?

    J’aime

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