Strasbourg, août 2023 (2)

Après les Karellis en Savoie, Aix-en Provence, Angers, c’est à Strasbourg, pour la deuxième fois, que les communistes se sont retrouvé·e·s pour leur université d’été. Un bon millier de cocos rassemblé·e·s le temps d’un week-end !

On y était, comme déjà souvent lors des éditions précédentes. Nous apprécions ce rendez-vous, politique bien sûr, mais qui est  aussi un moment culturel, scientifique, littéraire, historique, artistique, international… convivial et festif !

Voici très modestement quelques échos de l’Université, en plusieurs billets, tant le sujet est riche.

Université du PCF – 2023 – Strasbourg

Débat : Mieux connaître le FN pour mieux le combattre

Mieux connaître le FN pour mieux le combattre par Gérard Streiff, journaliste, essayiste et romancier français. Gérard Streiff a été directeur de collection. Ses romans documentés le classent dans la catégorie des historiens fictionnels. Il a travaillé au secteur international du PCF auprès de Jean Kanapa (1973-1981), a été correspondant à Moscou du quotidien L’Humanité (1982-1986). Depuis 1994, Gérard Streiff travaille au département communication du PCF. Il est l’auteur d’une thèse sur Jean Kanapa.

1 – Rappel du contexte dans lequel prospère le FN

Le FN prospère car la crise prospère. Le FN est un fruit de la crise. Tout ce qui combat la crise, combat le FN. Il faut donc régler son compte à la crise. C’est aussi cela la justesse du combat du PCF.

Le FN prospère sur l’idée qu’il n’y aurait plus de droite et de gauche. C’est sa posture et son slogan : « ni de droite, ni de gauche ! ». L’opinion se considérant elle-même qu’elle n’est ni de droite ni de gauche, il est devenu facile pour le FN de s’intégrer.

Mais la droitisation de la société est bel et bien là. Et les idées de droite et de gauche continuent de se confronter.

En 2023, les gens, sont-ils plus racistes qu’avant ? Pas forcément ! Ils sont surtout plus décomplexés qu’avant.

Le FN surfe sur le recul du collectif. Avec comme illustration, des actes pseudo spontanés, comme l’appel au versement à des cagnottes au début de l’été, au policier impliqué dans la mort de Nahel à Nanterre. Le FN profite de l’avancée de la progression des idées et des postures d’’extrême-droite dans les médias (cf. le groupe Bolloré et ses médias).

Le FN profite de la crise morale accentuée par le confinement. Les gens qui se sont retrouvés confrontés à eux-mêmes. Ils ont été contre tout : contre les vaccins, contre le port du masque, etc.

2 – Une classe dominante de plus en plus arrogante

Une étude a été faite auprès des jeunes Français qui sont allés cet été aux Journées Mondiales de la Jeunesse (les JMJ) : ils viennent de plus en plus des classes aisées. Ils ne sont plus concernés par des grandes causes sociales. C’en est fini de l’esprit de « Témoignage chrétien ». Ils installent leur identité de cossus.

La progression du FN en France, s’inscrit dans la poussée internationale de l’extrême-droite.

On le voit avec Georgia Meloni en Italie, qui maintenant se conforme aux attendus européens en matière de politique budgétaire, alors qu’avant son élection, elle se présentait comme la petite sœur des pauvres.

Le chercheur et sociologue Jean-Yves Camus (spécialiste de l’extrême-droite française et des groupes radicaux islamistes, il est chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques -IRIS) analyse que l’extrême-droite n’est pas solidaire. Elle est associée au racisme, au nationalisme, aux démarches d’exclusion : en gros, « C’est nous contre les autres ». Elle surfe sur la théorie du complot, qui lui permet d’expliquer le monde.

Le FN s’ancre depuis 1984 sur les sentiments de déclassement et d’abandon.

Le FN se distingue de Zemmour qui dit « Vive la droite », et « la vraie droite c’est moi ». Qui fait ses meilleurs scores dans le XVI ième arrondissement. Il a une cible sociologique différente que le RN. Mais il commence à recruter parmi la jeunesse dorée.

Dans la posture ni Droite ni Gauche, le RN n’est pas seul. D’autres ont aussi cette stratégie qui oppose le bloc populaire à un bloc bourgeois [cela a été repris par Roger Martelli dans son dernier livre]. On s’oppose frontalement à l’élite. Comme par exemple, LFI. Ce qui banalise le FN au final.

Mais au fait, c’est quoi l’élite ? On est contre les gens des villes et pour les gens des campagnes ? On oppose les uns aux autres. On biaise le débat au final. Pour le PCF, nous ne sommes pas dans cette stratégie-ci : Soyons élitaires pour tous ! C’est un beau mot d’ordre.

3 – Bilan du groupe RN à l’Assemblée Nationale : le « catcheur huilé »

Le RN est fort de 89 députés. Moins un qui a quitté le groupe depuis juin 2022. Parmi eux : 33% de femmes. L’âge moyen est de 48 ans.

Contrairement à l’image qu’ils veulent donner, les élus de ce groupe n’ont pas une origine populaire. La plupart viennent du secteur privé. Ce sont des cadres en majorité. Voire des CSP +. Il y a par exemple 15 avocats parmi eux.

Quand il y a un différend entre eux, c’est souvent celui qui a la fonction la plus élevée socialement qui l’emporte.

Leur propagande dit qu’ils viennent de la base. Qu’il s’agit de jeunes arrivants aux responsabilités. Ils disent ne rien savoir de l’histoire du FN. Ce qui est souvent faux.

Ils ne sont pas arrivés à l’Assemblée par hasard, sans origine : parmi eux, on compte beaucoup d’ex-permanents du parti.

Hormis J.Bardella, l’actuel chef du parti, tout le bureau politique du RN est dans le groupe représenté à l’Assemblée Nationale.

Beaucoup sont des fils ou filles de responsables de l’extrême-droite.

Ils ont fait leur trou dans les institutions. Il y a beaucoup de gens d’extrême-droite dans les places de la République.

Beaucoup sont libéraux. Sur le débat sur les retraites, beaucoup ont été des faux culs. Le paradoxe, c’est que le RN et Marine Le Pen sortent dans les sondages parmi ceux qui ont le plus profité du mouvement contre la réforme des retraites.

C’est notamment parce que le RN a usé de la technique dite du « catcheur huilé ». On ne peut pas les saisir. Mise à part quelques positions très tranchées, comme Sébastien Chenu, vice-président RN de l’Assemblée nationale : « Moi, je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe ». Ils ont été extrêmement prudents dans leurs positions. La démographie a ainsi été l’un des axes de l’argumentaire RN dans ce débat sur les retraites. Peu de Français savent que concernant la retraite à 60 ans, le RN n’y est favorable que pour les Français ayant 40 annuités et entrés dans la vie active avant 20 ans. Pour les autres, c’est la retraite entre 60 et 62 ans pour les Français entrés dans la vie active entre 20 ans et 24,5 ans, et le maintien de l’existant au-delà de 25 ans. On est donc loin du retour à l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour toutes et tous.

Lire ici : le RN et la réforme des retraites

C’est très difficile de saisir un adversaire comme cela.

4 – Où en est ce parti ?

Cette formation s’est dé-diabolisée.

Jérôme Sainte-Marie, qui est un ex-patron d’institut de sondage, joue un rôle important dans l’évolution de l’image du parti.

Ce qui explique que les « gens d’argent » vont prendre contact avec le FN, pour envisager des passerelles, au cas où il arriverait au pouvoir.

Il a moins de mal à présenter des candidats partout.

Avec son résultat aux législatives, le parti a eu une grosse rentrée d’argent, alors qu’il avait des difficultés financières. Il est de plus attentif à la formation de ses élus : le RN a recommencé des écoles de formation.

Il en a fini avec les jeux de mots Durafour-crématoire. Il s’affiche maintenant comme étant un grand ami d’Israël. D’ailleurs c’est le RN qui a été le plus offensif à l’Assemblée quand le PCF en juin a voulu que l’Assemblée Nationale assimile Israël à un état d’apartheid.

Mais quelques fondamentaux sont toujours là.

FN et RN ont toujours le même logo.

Le RN a des députés cools. Mais ce sont toujours des nostalgiques de l’OAS (cf. la prise de position de leur doyen à la tribune de l’Assemblée.) Ils sont toujours anti-communistes.

Quand on va sur le site du RN, le programme est décliné en trois points :

1 – Contre l’Immigration

2 – Contre l’Islam

3 – Pour la Sécurité

Cela résume bien la carte d’identité de ce groupe.

C’est le FN qui a ouvert le débat sur l’anti-wokisme en France. Le FN est subjugué par ce discours.

Il est très critique vis-à-vis du discours concernant la domination de classes, de sexes, de racisés.

En résumé, c’est le parti du retour en arrière.

Le RN est un parti féministe ! Le groupe s’est divisé sur le débat sur la constitutionnalisation de l’IVG. Sa position contre a évolué. D’ailleurs M. Le Pen s’est retirée de l’Assemblée nationale lors du vote, pour ne pas froisser, avec sa position, les électeurs historiques du FN.

5 – Le RN et l’écologie

Le RN va probablement prendre l’offensive sur l’écologie. C’est là où on ne l’ attend pas.

On le doit à Hervé Juvin, député Européen FN qui a rédigé un discours sur l’environnement prononcé par Marine Le Pen en janvier 2017. Ses déboires en justice, ont arrêté son élan. Mais le RN a commencé à travailler sur l’écologie. C’est Andréa Kotarak le nouveau responsable du secteur : « Pour une écologie qui est pour l’humain ». Avec comme leitmotiv : ne pas bousculer nos habitudes. C’est ce qu’ils appellent « l’agrarisme » : la ruralité contre les citadins, sous-entendu les bobos.

[Le monde rural serait celui du pays réel – comme disait Maurras-, celui de l’authenticité, du concret, de l’origine, des vraies valeurs, du travail et de la constance. Le monde citadin serait celui de la superficialité, du déracinement, du hors sol, du progressisme déconnecté. Ndlr] 

C’est encore diviser les gens en fait !

Le RN va mettre en avant le « technicisme » : le GIEC est ultra pessimiste. Or, la technique va nous permettre de sortir du réchauffement climatique. Il s’agit d’un argument totalement débile. Mais ce discours peut rassembler à droite.

Par ailleurs, le groupe RN a voté avec la droite contre le texte « restauration de la nature » au Parlement européen, au motif qu’ils sont contre le zéro artificialisation nette (contre la ZAN).

6 – Les possédants prennent contact avec le RN :

Le RN réunit près de 50% des ouvriers et 75% des chômeurs aux différents scrutins.

Maintenant que l’hypothèse du RN au pouvoir est posée, le capital prend au sérieux l’extrême-droite. Il y a quelques années, une Le Pen avait été invitée à l’université d’été du Medef, cela a fait un scandale.

Depuis, cela a changé. Sébastien Chenu, vice-président RN de l’assemblée a lors débat sur l’inflation noué des liens avec des « gros » de l’alimentaire. M. Chenu est « poto » avec M.E Leclerc..

Mario Draghi serait le conseiller de Georgia Meloni.

Sophie de Menthon, du mouvement patronal Ethic, pour qui l’État c’est d’abord le régalien, organise des rencontres avec Marine Le Pen depuis 2017.

Selon la revue Causeur du 31 janv 2022, le 27 janvier 2022, le grand patronat et M. Le Pen se sont vus au cercle Interallié. Le RN fait sa mue. Fini l’idéologie.

On a vu dans un grand restaurant du 7è arrondissement, le Fitzgerald, l’état-major du FN et des patrons.

De nouveau, on dit, « ils font des progrès ». Cela était tabou il y a quelques années ces rencontres avec le FN… Le regard des patrons sur le RN évolue. Et quand on décortique le programme économique du RN, le patronat peut s’y retrouver. Fini la promesse de faire évoluer le statut des fonctionnaires, pour y intégrer les contractuels. Fini les augmentations de salaire.

Les fachos portent la cravate mais ils montrent qu’ils seront de bons capitalistes.

En conclusion, le RN est servi par une sorte de fatalisme. Et les idées réac marquent des points.

Compte-rendu et photos : Stéphane Bauer

À suivre, d’autres échos de l’Université d’été du PCF

3 réflexions sur “Strasbourg, août 2023 (2)

Laisser un commentaire