Nous l’avions déjà bien compris : notre maire n’aime pas le « Grand débat national ». Il nous le redit dans la tribune du groupe majoritaire, parue dans le tout dernier magazine municipal.
« Dans notre commune, nous avons mis à disposition des formulaires de doléances et proposé un débat », nous rappelle-t-il. Double erreur. Au Conseil municipal de décembre, interrogé par nos soins sur la forme que pourraient prendre dans notre ville les « cahiers de doléances », le maire répondait que rien de plus que les « feuillets en accès libre aux horaires d’ouverture de la mairie », déjà existants, ne serait mis en place. Il indiquait également n’avoir reçu aucun courrier du gouvernement pour organiser une « consultation citoyenne ». On sentait déjà une furieuse envie d’y participer. Fin janvier, nous avons fait savoir au maire que nous organiserions une soirée-débat si la ville ne prévoyait pas de le faire. Trois semaines ont passé pour qu’enfin le maire nous informe que ce « grand débat » aurait bien lieu, sous la houlette d’un animateur indépendant. C’est donc bel et bien poussé par son opposition que le maire s’est engagé dans la tenue d’un débat. Au passage, peut-être que l’ « animation » en question, c’est-à-dire le rappel de quelques règles élémentaires de débat en début de réunion, et la circulation du micro pendant la séance, aurait pu être à la portée d’un maire. Mais visiblement le nôtre n’avait pas du tout envie de se mouiller dans cette histoire. Alors que les villes voisines se prêtaient à l’exercice avec davantage de conviction et tenaient plusieurs séances d’échanges, ou des séances thématiques en direction d’un public ciblé (les jeunes, par exemple !), à Saint Gratien le « grand débat national » a été réduit à sa plus simple expression. Comment faire en sorte qu’une initiative que vous ne souhaitez pas, fasse « flop » ? C’est assez simple. Faites le minimum de publicité. Un onglet confidentiel sur le site de la ville, qui a déjà servi pour annoncer que les « feuillets en accès libre » à l’accueil de la mairie se sont miraculeusement transformés en « cahiers de doléances ». Peu probable donc que les personnes qui ont déjà cliqué là, le refassent pour voir si quelque chose a évolué… Faites placer, sur à peine un quart des panneaux de la ville, quelques affichettes au format le plus réduit possible. Choisissez la date la moins propice possible à la participation, par exemple un lundi soir de retour de vacances scolaires, et un horaire qui empêche tout salarié d’être présent, par exemple 19h30, terminez par une amplitude horaire minimale, c’est-à-dire deux heures. Lancez une consigne de boycott de la réunion parmi vos amis, ce qui fait qu’aucun élu de la majorité sur les 31 n’assistera à la séance, sauf un courageux qui a passé outre. Faites toutefois vous-même une courte apparition en début de séance pour qu’on ne vous reproche pas de vous être totalement désintéressé de l’affaire.
Si toutefois il s’avère que les Gratiennois se montrent motivés, et que 70 personnes se déplacent ce soir-là, minimisez l’évènement en annonçant dans votre tribune qu’elles n’étaient que 50… Ne parlez surtout pas du fond des échanges. Ainsi le « Grand débat » passera peut-être le plus inaperçu possible.
Le maire nous indique la raison fondamentale de son désaccord avec la procédure du « Grand débat » : il serait en effet impossible de faire une « synthèse cohérente, issue d’avis antagonistes ». Ah mais bien sûr ! Si au moins nous avions un débat où tout le monde est d’accord ! Comme alors la synthèse serait aisée !
Et pour finir, il nous rappelle qu’à Saint Gratien la pratique de la démocratie est une réalité quotidienne, puisqu’y existent les réunions de quartier. Vous savez, les soirées soigneusement calées elles aussi entre 19h30 et 21h, puisqu’à cette heure, le maire décrète qu’on pose la dernière question. Oui, on ne peut poser que des questions et non pas émettre un avis. Et oui, lorsque la question est dérangeante, les élus de la majorité, qui ce soir-là ont eu la permission de sortir, le font savoir bruyamment. Quant aux « actions concrètes » mis en place avec les groupes de quartier, nous savons tous qu’elles sont rarissimes, vu le peu de latitude et l’absence de pouvoir et de budget que la ville leur accorde.
Alors sommes-nous des naïfs, béats devant le GDN du président Macron ? Que non. Nous nous faisons peu d’illusions sur les retombées possibles. Mais comment rater l’occasion d’organiser dans notre ville, pour une fois, une réunion où les Gratiennois se rencontrent, réfléchissent, échangent, confrontent des idées « antagonistes » sur des sujets nationaux ou locaux ? Des sujets d’importance, que ce soit pour leur vie quotidienne, ou pour la sauvegarde de la planète, ou pour la vie démocratique du pays. Comment un maire peut-il juger inutile de venir les écouter ? Les participants de ce soir-là nous donnent raison, eux qui déclarent en sortant, souhaiter voir se renouveler l’expérience. Avec ou sans le maire, finalement.