La forêt de Montmorency fait face à une grave crise sanitaire, elle aussi. Le Covid forestier s’appelle la maladie de l’encre. Des élus locaux critiquent la gestion de l’ONF, qui a procédé à des coupes rases des parcelles malades. Que penser de cette querelle et comment assurer la sauvegarde de cette forêt qui nous est tellement essentielle ? Quel rôle pour l’ONF ?
La forêt domaniale de Montmorency est touchée par une grave crise sanitaire. Composée à 72% de châtaigniers, elle est durement attaquée par « la maladie de l’encre ». Il s’agit d’un champignon microscopique qui attaque les racines des arbres et finit par les faire tomber. Il n’y a pas de remède.
« La maladie de l’encre est un pathogène à mi-chemin entre le champignon et l’algue, explique Michel Béal, directeur Ile de France Ouest de l’Office National des Forêts. Il se déplace dans le sol et c’est vraiment le dérèglement climatique qui favorise son développement« . Hivers doux, printemps pluvieux puis étés de sécheresse sont dévastateurs pour les forêts, la maladie de l’encre n’est pas due au hasard.
Depuis deux ans, l’Office National des Forêts (ONF) multiplie les « coupes sanitaires » des châtaigniers de Montmorency sur des dizaines d’hectares. « Nous faisons des coupes en hiver et nous replantons à l’automne, poursuit Michel Béal, mais nous remettons d’autres essences qui ne craignent pas cette maladie, comme le chêne, le cormier ou le merisier« . Environ 80 hectares de châtaigniers ont dû être coupés en forêt de Montmorency, qui pourrait perdre encore 200 à 300 hectares de châtaigniers d’ici 5 ans, soit en tout 20% de sa superficie.
Pour l’instant, « la forêt de Montmorency est la seule d’Ile-de-France à être classée en crise sanitaire par l’ONF depuis 2018« , explique Michel Bréal. Le plan de gestion habituel n’y est donc plus applicable, et les forestiers sont « débordés« , ajoute-t-il. Depuis que la maladie a pris de l’ampleur, les forestiers ont dû augmenter la surface des parcelles d’arbres à abattre.
En attendant de meilleures solutions, l’ONF travaille sur le sujet avec le ministère de l’Agriculture et des scientifiques de l’INRAE (Institut national de recherche en agriculture, alimentation et environnement). Une chercheuse a été spécialement dédiée pour la première fois à cette maladie.
La gestion de l’ONF est très critiquée par des élus d’Île-de-France qui contestent les coupes effectuées en forêt de Montmorency et demandent dans une tribune parue dans la presse locale un « moratoire » sans qu’on comprenne bien leurs propositions alternatives. La cause des coupes rases serait selon eux les difficultés financières de l’ONF et l’injonction faite aux agents de « rentabiliser » la forêt en vendant du bois. Le maire de Saint Gratien est signataire de la tribune.
Étonnant de voir que ces élus -tous de droite- découvrent soudain les méfaits de la course au profit ! Pourtant dans leurs communes respectives ils confient au privé à tour de bras la gestion des services publics locaux.
Il est vrai que l’ONF est un service public gravement menacé. Sur les 15.000 emplois que comptait l’ONF en 1985, il en reste moins de 9.000 en 2018, dont seulement 4994 fonctionnaires. La réduction des postes se poursuit. On sait qu’il y a à l’ONF un climat social délétère, apportant nombre de suicides, dépressions, démissions.. « Nous, agents de l’ONF, avons besoin du soutien des citoyens car aujourd’hui nous faisons face à une perte de sens de notre métier », alerte le personnel de l’ONF. Lors d’une récente manifestation, un épouvantail habillé en agent et pendu à un arbre rappelait la grande détresse dans laquelle se trouve la profession.
Il est impératif de pérenniser l’existence de l’ONF et d’en augmenter ses effectifs. Il faut bien évidemment que cet organisme reste public pour garantir une gestion nationale et indépendante de tout intérêt financier privé. Il faut valoriser les compétences de l´ONF et réaffirmer le rôle et les missions de service public forestier au service de l´intérêt général et de la biodiversité. La forêt est un bien commun et non une marchandise.
Le rôle de l’ONF est d’autant plus primordial aujourd’hui, dans le contexte du dérèglement climatique. La préservation et le développement des surfaces boisées constitue un enjeu essentiel. Les forêts étant indispensables pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour la sauvegarde de notre biodiversité, leur entretien et leur surveillance sont primordiales.
Or, le gouvernement promeut le productivisme, la surexploitation du bien public, une sur-mécanisation, la quête de rentabilité, et la filialisation des activités concurrentielles de l’ONF. C’est cette vision du rôle de l’ONF qui est problématique.
Les agents ONF des différents syndicats s’inquiètent également du fait que le texte de la loi Climat fasse l’impasse sur la question des forêts, alors que la convention citoyenne avait reconnu l’importance de « valoriser les compétences de l’ONF et réaffirmer le rôle et les missions de service public forestier au service de l’intérêt général et de la biodiversité ».
Pour sauver la forêt de Montmorency, et toutes les forêts de France, pas d’autre solution que de réinvestir dans le service public de l’ONF.
L’Office National des Forêts est un établissement public créé en 1964 mais héritier de 700 ans de foresterie française, placé sous la tutelle du ministère de l’agriculture et de l’alimentation ainsi que du ministère de la transition écologique et solidaire.