Des jours heureux

Fabien Roussel : « Je lance un appel aux exploités, méprisés : envahissez les urnes ! »

Fabien Roussel est interrogé par Julia Hamlaoui pour l’Humanité Dimanche.

Le 21 novembre se tient à Paris le grand rassemblement de Fabien Roussel en faveur du pouvoir d’achat et de l’emploi. Le candidat du PCF à la présidentielle défend un « pacte pour le progrès social et l’écologie à 140 milliards d’euros » dédié à « un vrai projet de société ». Grand entretien 

Le capital coûte cher, très cher. Tous les ans, ce sont plus de 45 milliards d’euros de cadeaux fiscaux », dénonce le député du Nord. À l’opposé de cette logique libérale, le candidat pour des « jours heureux » détaille ses propositions et leur financement : baisse des factures d’énergie, augmentation des salaires, réindustrialisation, développement des services publics, réduction des « vraies charges qui pèsent sur les entreprises », ou encore transports gratuits…

La lutte contre la vie chère et pour l’emploi est au cœur de votre campagne. La question du pouvoir d’achat arrive en tête des préoccupations, quelles mesures mettriez-vous immédiatement en place si vous étiez élu ?

Fabien Roussel Cet hiver, beaucoup de familles, d’enfants, de retraités risquent d’être contraints de choisir entre se nourrir ou se chauffer, de sombrer dans la misère. Nous ne pouvons pas attendre les élections. Notre rassemblement du 21 novembre à Paris est une grande journée de lutte et de mobilisation pour interpeller le gouvernement sur les mesures d’urgence pour dire stop à la vie chère et porter des propositions pour l’emploi, la formation et les salaires. Les hausses des factures de gaz, d’électricité, d’essence vont s’ajouter à celles des mutuelles, des loyers, des prix de l’alimentation… Cela représente dès maintenant des pertes de pouvoir d’achat de plus de 100 euros par mois. Le gouvernement distribue de petits chèques alors que, durant tout ce mandat, il en a signé de gros, par dizaines de milliards, aux plus riches. Le capital nous coûte cher, très cher, entre le Cice, l’ISF, la flat tax, l’exit tax… Tous les ans, ce sont plus de 45 milliards d’euros de cadeaux fiscaux. Il faut mettre fin à cette gabegie de dépenses publiques, et utiliser cet argent pour baisser les taxes afin de réduire sans attendre de 30 % les factures de gaz et d’électricité, et le litre de carburant.

Mais nous savons que cela ne suffira pas : l’enjeu est aussi de consommer moins. Nous voulons donc un vaste plan de rénovation thermique des bâtiments et logements de 23 milliards d’euros par an et un plan de développement des transports en commun. Dans les 45 métropoles de notre pays, l’État doit prendre à sa charge leur gratuité, en priorité pour les moins de 25 ans et les salariés. Dans les autres territoires, je propose que les 50 % du ticket de TER des salariés non remboursés par l’employeur le soient par l’État. Le TER sera gratuit pour se rendre au travail. Exit les cars Macron, bienvenue aux trains Roussel.

Comment augmenter le Smic et les salaires, comme vous le proposez également, sans mettre en difficulté les entreprises, notamment les plus petites ?

Fabien Roussel D’abord, nous proposons une hausse du Smic à 1 800 euros brut, mais aussi que tous les salaires soient indexés à l’inflation. C’est ce que l’on appelait auparavant l’échelle mobile des salaires, qui n’existe plus depuis près de quarante ans. Et, de ce fait, le salaire moyen se tasse. Pire, dans certaines branches professionnelles, le salaire minimum est inférieur au niveau du Smic. Pour les fonctionnaires, dont le point d’indice est gelé depuis douze ans, il faut augmenter de 30 % les salaires. Bien sûr pour les catégories C, dont les revenus sont très bas, mais je pense aussi à ces sages-femmes, par exemple, qui, après cinq ans d’études, sont à 1 800 euros net. Pour les entreprises, augmenter les salaires sera possible car je propose de baisser les charges.

Vous pensez sans doute à d’autres « charges » que celles sans cesse évoquées par la droite pour s’attaquer au « coût du travail » ?

Fabien Roussel De Xavier Bertrand à Emmanuel Macron en passant par Éric Zemmour et Marine Le Pen, ils n’ont en effet que ces mots-là à la bouche. Eux parlent des cotisations qui permettent pourtant de financer notre système de solidarité, la Sécurité sociale. Moi, je parle des vraies charges qui pèsent sur les entreprises. Elles sont au nombre de trois. À commencer par les factures énergétiques, qui s’envolent du fait de la libéralisation et dont nos entreprises souffrent aussi. Elles ont besoin d’accéder à une électricité moins chère et décarbonée. C’est un enjeu tant économique que climatique qui nécessite de monter en puissance dans un mix énergétique avec une grande part d’électricité nucléaire.

Il faut également réduire les charges des assurances. C’est peu de le dire, ces dernières n’ont pas été au rendez-vous de la pandémie et continuent d’augmenter les cotisations alors qu’elles sont assises sur un tas d’or, avec près de 100 milliards d’euros de fonds de réserve. Je propose de nationaliser Axa et de créer une garantie d’assurance publique aux entreprises beaucoup moins chère.

Ces charges financières sont enfin celles imposées par les banques pour des crédits de surcroît difficiles à obtenir. Nous voulons une banque publique qui prêtera à taux zéro pour des investissements qui permettent de relocaliser l’activité, la transition écologique, de former et d’embaucher, notamment des jeunes.

Vous défendez également un plan de « reconquête industrielle et de relance des services publics ». Comment éviter les délocalisations et réinvestir dans les services publics ?

Fabien Roussel La France a perdu 2 millions d’emplois industriels en vingt ans. C’est une catastrophe nationale, un crime organisé contre notre industrie. Mon plan, c’est d’abord un moratoire sur toutes les délocalisations en cours. Car, quand on perd des compétences dans l’automobile, dans l’aéronautique, dans le textile, il faut des années pour les reconquérir. L’État est complice de ce grand déménagement industriel, or il peut et doit non seulement mettre un garrot sur cette hémorragie mais aussi reconstruire des filières entières, comme celle du textile, du médicament…

Que l’on ne me dise pas que c’est un coût pour le climat. C’est faux. En l’espace de quinze ans, les émissions de CO2 importées ont augmenté de 75 %, alors qu’ici elles sont en train de baisser. Cette politique de relocalisation de l’activité doit être menée par tous les pays et aller de pair avec des circuits de coopération, hors loi du marché, sur les matières premières.

Pour nos services publics, un pacte sans précédent est nécessaire pour rattraper tous les retards. Quand on additionne les besoins pour l’école, pour l’accompagnement des personnes âgées, pour la santé, la police, les éducateurs, la justice, ce sont plusieurs centaines de milliers d’emplois à créer.

Où entendez-vous trouver les moyens de financer toutes ces ambitions ?

Fabien Roussel Je propose un pacte européen pour le progrès social et écologique. Un pacte pour l’emploi et le climat, pour sortir du dogme de l’austérité et de la concurrence libre et non faussée. Parce que le pacte budgétaire est mort ! Remis en cause par la pandémie, les 3 % de déficit et les 60 % d’endettement inscrits dans le marbre du traité de Maastricht et du pacte de stabilité n’existent plus. Tout le monde le dit. Il est donc nécessaire d’en écrire un nouveau qui permettrait de mobiliser 6 % du PIB européen, c’est-à-dire 900 milliards d’euros par an.

Et nous proposons pour la France le même pacte à hauteur de 6 % de notre PIB, soit 140 milliards. Ce pacte budgétaire européen sera financé par la Banque centrale européenne, qui pourra faire tourner la planche à billets, non plus pour gaver les marchés financiers mais pour ces investissements utiles. Il sera aussi abondé par les ressources nouvelles que nous obtiendrons des multinationales en faisant participer le capital. C’est une bataille à mener à l’échelle de l’Union européenne, mais c’est autrement plus ambitieux que les 750 milliards d’euros actuellement prévus pour six ans.

À rebours de ce qu’a exposé Emmanuel Macron lors de sa dernière allocution, vous proposez de réduire le temps de travail. Comment y parvenir tout en préservant les salaires, les emplois et notre système de protection sociale ?

Fabien Roussel La première réforme que nous devons faire, la plus urgente, c’est celle des retraites, pour permettre de partir à 60 ans avec une bonne pension, et d’être remplacé par l’embauche d’un jeune. L’autre urgence est aussi de réduire le temps de travail hebdomadaire. Pas par dogme, mais parce que nous préférons travailler moins pour travailler tous et bien. Je ne le ferai pas en l’imposant brutalement à toutes les entreprises du jour au lendemain. Cette réduction doit se faire progressivement dans le dialogue et la concertation, en fonction des réalités des entreprises, mais surtout en tenant compte des conditions de travail et du besoin grandissant de formation.

Beaucoup de métiers ne sont plus attractifs tellement ils sont pénibles. On doit pouvoir s’épanouir au travail ! C’est pour cela que notre programme, à nous communistes, est un projet de société. L’attractivité du travail n’est pas qu’une question de salaires. Je porte l’ambition que nous redonnions collectivement du sens au travail pour retrouver le goût de participer à un projet de société, à la reconstruction de notre pays, à la transition écologique. La réduction du temps de travail doit s’inscrire dans ce projet-là. C’est ce qu’est en train de réaliser Yolanda Diaz en Espagne, la ministre communiste y engage ce travail par secteur et dans le dialogue. Elle fait la démonstration, par petites touches, que c’est possible et que c’est aussi dans l’intérêt des entreprises.

Le déficit de la protection sociale est imposé comme argument massue par les détracteurs de ces propositions…

Fabien Roussel Et notre système de protection sociale a toujours été basé sur un financement solidaire du travail. Or, aujourd’hui, le capital participe de moins en moins à son financement. C’est pour cela que nous proposons, dans notre réforme des retraites, une cotisation de 11 %, comme celle qui existe sur les salaires, appliquée aux revenus financiers. Elle permettrait de récupérer près de 30 milliards d’euros par an dans le financement de notre protection sociale.

Une autre de mes priorités : l’égalité salariale femmes-hommes, pour mieux valoriser tous ces métiers où 80 % de femmes sont en première ligne, sous-payées et maltraitées. Ce serait non seulement un progrès pour la moitié de l’humanité, les femmes, mais aussi un atout économique. L’égalité salariale rapporterait 5 milliards d’euros dans les caisses de l’État.

L’extrême droite et la droite extrême, très médiatisées dans cette campagne, rendent l’immigration responsable de tous les maux sociaux. Qu’y opposez-vous ?

Fabien Roussel C’est pire que ça. Ce n’est pas seulement l’immigration qui est pointée, ce sont aussi des Français qui, en fonction de leur religion ou de leur couleur de peau, sont stigmatisés. C’est une forme d’apartheid qui est mise en débat à travers des candidats qui osent tout. Tout est fait pour diviser la société. C’est honteux. Cela faisait très longtemps que les principes de la République n’avaient été à ce point mis en cause par l’encouragement au repli sur soi et à la haine de l’autre.

L’extrême droite ne remportera pas l’élection présidentielle. Mais ses idées sont un danger majeur pour le vivre-ensemble et nos libertés. Il faut donc combattre à chaque instant ses idées qui diffusent dans le pays et risquent de continuer à nous opposer en fonction de nos couleurs, nos religions, alors que nous avons besoin d’être unis, de lutter ensemble pour de nouvelles avancées sociales et démocratiques. Or, je sens monter l’individualisme, le repli sur soi, la haine de l’autre. Je veux lancer un grand appel à ceux qui se détournent de la politique, qui ne veulent plus voter et qui sont aujourd’hui exploités, maltraités, méprisés. Il faut qu’ils envahissent les urnes, mais en votant pour des jours heureux et pas pour des heures sombres.

Comment comptez-vous inverser la donne à l’heure où les sondages sont défavorables à la gauche ?

Fabien Roussel Si nous disions que l’issue est de reconstruire la gauche qui a déçu, qui a trahi, ce serait pire que mieux. Cette gauche-là, qui a été au pouvoir et qui a tourné le dos aux aspirations populaires, a aussi une responsabilité dans la crise démocratique que nous traversons, car elle a contribué à nourrir l’abstention et le rejet de la politique. Je ne veux plus revivre de tels désenchantements. Il existe une gauche qui a le courage de s’attaquer à la finance, de mettre en place des réformes au service du peuple, avec le peuple. C’est ce que je veux incarner dans cette campagne.

4 réflexions sur “Des jours heureux

  1. AFP

    « Ma gauche à moi croit au travail et aux salaires »: le candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel s’est concentré dimanche, dans son meeting de plein air à Paris, sur le thème social pour conjurer les sondages bas et la pluie.

    Il fallait une certaine audace pour organiser un meeting de plein air fin novembre, mais plusieurs centaines de militants ont répondu à l’appel place Stalingrad, serrés sous leur parapluie.

    « Rapprochez-vous, qu’on vous voie, que ça nous donne un peu de chaleur! », s’exclame depuis la scène la porte-parole Barbara Gomes, pour motiver les troupes.

    Après un court clip de campagne, Fabien Roussel fait son entrée en se plaçant au centre de la ligne de cadres communistes de sa campagne, tous debouts à côté du pupitre.

    Le thème du meeting: le social, toujours le social, encore le social. Le candidat a beau avoir consacré plusieurs précédentes réunions publiques à d’autres thèmes, le rendez-vous de Stalingrad était le véritable point de mire de toute la première partie de campagne.

    Ses prises de position de « fermeté » sur la laïcité et l’immigration, qui ont créé des remous au sein du parti, avaient pour objectif de laisser plus de place au débat sur les salaires et l’emploi.

    Le député du Nord a déroulé ses positions en la matière dimanche: augmentation du SMIC et des pensions de retraite à 1.500 euros nets, de tous les autres salaires en fonction de l’inflation, revalorisation du point d’indice de la fonction publique, égalité salariale entre hommes et femmes, service public de l’emploi assurant un métier et une formation rémunérée à chaque jeune, recrutement de 500.000 fonctionnaires…

    Pour les financer, Fabien Roussel a proposé un « impôt Covid » sur les bénéfices et les « profiteurs de crise » mais aussi le « triplement de l’ISF », la nationalisation de la BNP, de la Société générale et d’Axa – des propositions qu’il a accompagnées d’un sourire bravache, lâchant: « Parce que bon, oh, ça va bien! ».

    – « Vieille gauche qui tache » –

    Conscient cependant que l’imaginaire communiste est en perte de vitesse auprès des jeunes, il a déclaré à propos de ses adversaires: « S’ils appellent ça le communisme, c’est le communisme, mais pour moi c’est le progrès et la république sociale ».

    Et il a attaqué l’idée de revenu minimum d’existence défendue par l’écologiste Yannick Jadot: « Certains à gauche théorisent la fin du travail. Ce n’est pas ma gauche, ma gauche à moi elle croit au travail, au salaire, et ne croit pas que l’allocation doive remplacer les salaires ».

    Avant lui, son directeur de campagne Ian Brossat avait d’ailleurs lancé, sur scène: « Elle est belle, la vieille gauche qui tache, qui ne renonce pas! »

    C’est cette « vieille gauche qui tache » que Raphaël, menuisier de 22 ans, est venu soutenir, « là où Mélenchon s’éparpille trop et s’est éloigné de la lutte des classes », a-t-il confié à l’AFP, en référence à l’Insoumis, que le PCF soutenait en 2017. « Précarité, emploi, on revient à la ligne historique du parti, dont on s’était écartés depuis les années 80 », a ajouté Raphaël.

    Il a dit ne pas s’inquiéter des sondages, qui donnent inlassablement Fabien Roussel entre 2 et 3% des intentions de vote: « Même si on n’est pas hauts, on aura fait avancer le débat économique et social ».

    Quant à Fabien Roussel, il a conclu son discours en rappelant l’un des buts cardinaux de sa campagne, les législatives qui suivent la présidentielle, capitales pour la survie du PCF: « A gauche, oui nous tendrons toujours la main, pour construire le pacte aux législatives, pour faire élire le plus de députés de gauche à l’Assemblée nationale ».

    AFP, publié le dimanche 21 novembre 2021 à 15h16

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  2. AFP, publié le mardi 30 novembre 2021 à 16h53
    /actu.orange.

    Les prétendants à l’Elysée Fabien Roussel (PCF) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) ont tous deux soutenu que la Sécurité sociale avait été créée par le communiste Ambroise Croizat. Mais cette affirmation est une « fiction historique », estiment trois historiens auprès de l’AFP. Si cet ancien ministre et syndicaliste y a largement contribué, la naissance de « la Sécu » est en réalité le fruit d’un consensus entre les différents partis politiques de l’époque et a été actée en octobre 1945 avant la nomination d’Ambroise Croizat comme ministre du Travail. Lui-même jugeait cette réforme trop cruciale pour que « quiconque puisse en réclamer la paternité exclusive ».Alors que le Parlement a adopté définitivement lundi le projet de budget 2022 de la Sécurité sociale, le financement du système de protection français revient au cœur des débats avec la réflexion lancée, sous l’impulsion du gouvernement, autour d’une possible « grande Sécu ».

    Tous deux candidats à l’élection présidentielle, Fabien Roussel (PCF) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) en ont profité pour revenir sur les origines de la « Sécu », qui fête ses 76 ans, en en attribuant l’exclusive paternité à un ancien ministre communiste.

    « C’est Ambroise Croizat qui a créé la Sécurité Sociale ! Tous ceux qui ont une carte de sécurité sociale aujourd’hui dans leur poche, c’est comme s’ils avaient une carte du parti communiste français », a affirmé le 28 novembre sur Twitter Fabien Roussel, député du Nord et candidat du Parti communiste.

    C’est Ambroise Croizat qui a créé la Sécurité Sociale !Tous ceux qui ont une carte de sécurité sociale aujourd’hui dans leur poche, c’est comme s’ils avaient une carte du parti communiste français. #OEED

    — Fabien Roussel (@Fabien_Roussel) November 27, 2021 Le même jour, le candidat La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon, invité sur le plateau de LCI, a, à son tour, soutenu la même thèse : »C’est Ambroise Croizat lui-même, le ministre communiste, qui a fondé la Sécurité sociale et leur idée à l’époque, c’était la grande Sécu, tout était dedans ».

    Je suis partisan de l’accomplissement du rêve de la Sécurité sociale fondée par le ministre communiste Ambroise Croizat : chacun donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Que vous soyez riche ou pauvre, vous serez traité et soigné de la même manière.#EnTouteFranchisepic.twitter.com/tpv4wKI0SA

    — Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) November 28, 2021 « Une idée issue de la Résistance et portée par toute la classe politique de l’époque »Pourtant, trois historiens interrogés par l’AFP assurent que les déclarations des deux candidats ne collent pas aux faits historiques.

    L’idée de la Sécurité sociale telle que nous la connaissons aujourd’hui est en réalité inspirée du Conseil national de la Résistance (CNR). Dans son programme établi en 1944, cette coalition des mouvements opposés au régime de Vichy affirme vouloir instaurer, après la guerre, »un plan complet de Sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».

    Capture d’écran d’un extrait du programme du Conseil national de la Résistance prise sur le site siv.archives-nationales.culture.gouv.fr.

    Or, « les communistes siégeaient au sein du CNR mais ils n’étaient pas les seuls : il y avait aussi des gaullistes, des socialistes, des démocrates-chrétiens ou le Mouvement républicain populaire », explique l’historien et directeur historique de la Fondation de la Résistance Fabrice Grenard. « Il faudrait plutôt dire que la Sécurité sociale est une idée issue de la Résistance et portée par toute la classe politique de l’époque », poursuit-il.

    La Sécurité sociale est « le fruit d’une aspiration très largement partagée par les forces politiques issues de la Libération de la France en 1945 », abonde Bruno Valat, spécialiste de l’histoire de la protection sociale. « Ces partis étaient d’accord pour créer la Sécurité sociale, il y avait des nuances sur la physionomie exacte qu’elle devait avoir, mais ils étaient d’accord sur les grandes lignes : un plan français ambitieux qui couvre la grande majorité des Français, sinon tous les Français, contre la plupart des grands risques sociaux de l’existence, d’une assurance-vieillesse à l’assurance-maladie ».

    « Il faut surtout insister sur la mobilisation populaire sans laquelle le régime général n’aurait jamais été créé. Cette mobilisation venait clairement des militants communistes », affirme, de son côté, le sociologue et économiste Bernard Friot, joint par l’AFP.

    La création du régime général de la Sécurité sociale est actée par la signature des ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, qui met en place le programme du Conseil national de la Résistance et ses promesses de « jours heureux », lors du premier Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) présidé par le général de Gaulle.

    Capture d’écran de l’ordonnance portant organisation de la sécurité sociale prise le 30 novembre 2021 sur le site gouvernement.fr Capture d’écran de l’ordonnance portant organisation de la sécurité sociale prise le 30 novembre 2021 sur le site gouvernement.fr

    Cette nouvelle organisation fusionne toutes les anciennes assurances (maladie, retraite…) et garantit à chacun de disposer, en toutes circonstances, des moyens nécessaires pour pouvoir vivre, avec sa famille, dans des conditions décentes. La Sécurité sociale commence finalement à fonctionner dès juillet 1946.

    Ambroise Croizat, un rôle-clé dans la mise en place de la « Sécu »Mais alors, quelle a réellement été la contribution d’Ambroise Croizat à ce nouveau système de protection sociale ? Né en 1901, cet ajusteur-outilleur adhère à 16 ans à la CGT. Membre du PCF dès sa fondation en 1920, il entre au comité central en 1929, avant d’être élu député de Paris dans le 14e arrondissement sept ans plus tard, et de prendre une part active aux grandes lois sociales du Front populaire.

    Emprisonné pendant la guerre, de 1939 à 1943, le syndicaliste et député communiste est nommé ministre du Travail, puis du Travail et de la Sécurité sociale (de janvier à décembre 1946), dans les quatre premiers gouvernements après la Libération, entre novembre 1945 et mai 1947. Ambroise Croizat est en outre l’auteur de plusieurs innovations sociales, comme la loi sur les majorations de salaires pour heures supplémentaires, travail de nuit et du dimanche.

    « Ambroise Croizat a été nommé ministre du Travail après l’adoption des textes de loi des ordonnances d’octobre 1945 qui ont créé la Sécurité sociale, donc il ne peut pas en être le père. Il a joué un rôle très actif en tant que ministre du Travail (ndlr: à partir de novembre 1945) dans la mise en place de la législation et la mise sur pied des caisses de Sécurité sociale. Mais il n’a joué aucun rôle dans l’adoption des grands principes du plan français de Sécurité sociale », affirme Bruno Valat.

    « C’est une stratégie constante du Parti communiste depuis 1945 ou presque de s’attribuer la paternité de la Sécurité sociale et en particulier d’y attacher le nom d’Ambroise Croizat, mais c’est une fiction historique qui ne correspond pas à la réalité », regrette l’historien.

    De son vivant, Ambroise Croizat lui-même ne revendiquait pas la Sécurité sociale comme un acquis du seul Parti communiste : « Le plan de Sécurité sociale est une réforme d’une trop grande ampleur, d’une trop grande importance pour la population de notre pays pour que quiconque puisse en réclamer la paternité exclusive […]. Cette Sécurité sociale, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les Français et à toutes les Françaises sans considération politique, philosophique ou religieuse. C’est la terrible crise que notre pays subit depuis plusieurs générations qui lui impose ce plan national et cohérent de sécurité », a-t-il déclaré le 8 août 1946 devant l’Assemblée nationale.

    Selon Bruno Valat, « les deux hommes qui ont finalement joué le plus grand rôle, c’est le ministre du Travail qui a précédé Ambroise Croizat, le résistant Alexandre Parodi, nommé directement par le général de Gaulle, et Pierre Laroque (ndlr : un gaulliste) ». Deux hauts fonctionnaires qui ont participé à l’élaboration des ordonnances de 1945 mais n’étaient pas communistes. Pierre Laroque deviendra ensuite le premier directeur de la « Sécu » et travaillera avec Ambroise Croizat à mettre en application ce nouveau système de protection social unique.

    Le rôle d’Ambroise Croizat est donc clé : il prolonge les ordonnances de 1945 par une série de lois en 1946 et un grand discours le 8 août devant l’Assemblée constituante. Cette réforme qui, selon lui, « n’appartient à aucun parti », doit « libérer les travailleurs des incertitudes du lendemain », avec « un revenu de remplacement du salaire » en cas de maladies, accidents du travail, retraites ou via les allocations familiales, décrit le sociologue du travail Claude Didry (CNRS). Le ministre communiste cherche également à éviter une augmentation excessive des dépenses de santé, en réclamant une « franche collaboration entre le corps médical et les caisses ».

    Interrogé par l’AFP sur sa déclaration du 28 novembre, Fabien Roussel a précisé : « Ambroise Croizat a été le ministre du Travail au lendemain de la guerre et c’est lui qui a défendu ce projet de Sécurité sociale et organisé la concertation avec les professions médicales. Certes, il n’en a pas été l’artisan tout seul car il y avait beaucoup de députés, de conseillers, et de personnes qui ont participé à l’élaboration de ces textes mais c’est lui qui l’a défendu avec vigueur devant le Parlement et c’est en ce sens que nous disons qu’il est le père de la Sécurité sociale « .

    Sollicité à plusieurs reprises par l’AFP, Jean-Luc Mélenchon n’a, lui, pas souhaité répondre.

    Il est « faux de laisser planer l’idée qu’on ne partait de rien en 1945″Pour les historiens, les déclarations des deux candidats de gauche font en outre « planer à tort l’idée qu’on ne partait de rien en 1945 ». Or, avant cette date, « il y avait déjà des systèmes d’assurance qui fonctionnaient mais par branche professionnelle, ce n’était pas un système universel unique comme nous le connaissons aujourd’hui », souligne Fabrice Grenard.

    Dès 1894, est, par exemple, proposée une loi sur les retraites des mineurs et en 1898 une autre sur les accidents du travail. Des lois de protection sociale qui serviront de socle au futur régime général de la « Sécu ».

    Capture d’écran prise sur le site assurance-maladie.ameli.frEn 1910, la loi française sur les retraites ouvrières et paysannes permet la création d’un système de retraite par capitalisation obligatoire pour les travailleurs âgés de plus de 65 ans. « Cela touchait 3 millions et demi de personnes », souligne l’historien Michel Dreyfus, interrogé par l’AFP.

    Quatre ans plus tard, la Première Guerre mondiale se déclare et laisse derrière elle des millions de morts, blessés, mutilés et orphelins. « Le système est donc totalement à revoir, et la France a, en plus, récupéré trois départements à l’Allemagne : le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, qui ont un système d’assurances sociales, mis en place par Bismarck dans les années 1880, beaucoup plus moderne que le modèle français. Or, on ne peut pas envisager que, sur le territoire national, certains aient des avantages et d’autres non », raconte l’historien.

    Finalement, en 1930 sont votées les assurances sociales, obligatoires pour tous les salariés de l’industrie et du commerce aux salaires modestes, qui concernent « à l’origine 8 millions de personnes et ne vont cesser d’augmenter jusqu’à la Libération pour en toucher 15 millions », explique Michel Dreyfus. « Il y avait donc des systèmes antérieurs et c’est là-dessus que s’est construite la Sécurité sociale », affirme l’historien.

    Aujourd’hui, l’héritage laissé par Alexandre Parodi, Pierre Laroque et Ambroise Croizat bénéficie à 65 millions de Français couverts par le régime général de la Sécurité sociale, qui verse chaque année 470 milliards d’euros de prestations.

    https://actu.orange.fr/desintox/la-securite-sociale-creee-par-un-ministre-communiste-attention-a-ce-raccourci-historique-CNT000001H4mn1.html

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